Let me show you my true colors

Il doit être vingt-trois heures, quelque part par là. Peut-être plus. Je n'en sais rien en fait, je sais juste qu'il fait nuit et que je ne devrais pas me trouver à cet endroit-là mais c'est l'endroit le plus apaisant pour moi. Le toit laisse une vue assez appréciable et si j'avais mon appareil photo, sûrement que j'aurais pris quelques clichés de jour. Seulement, je l'ai laissé dans mon sac et même si j'ai accepté de le prendre ici, je ne l'ai toujours pas utilisé même si je me suis promis de tenter de retrouver une vie normale, de recommencer à zéro à mon arrivée ici. Après tout, qui pouvait s'imaginer que j'allais faire des études supérieures un jour ou l'autre ? C'est fou comme notre vie peut basculer du jour au lendemain... Mais je ne m'imagine pas que tout va aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour autant. Si je suis ici, c'est avant tout pour me débarasser de mon don de prémonition, rien d'autre. Je sais que ce n'est pas une maladie, qu'il n'y a pas un vaccin contre cela mais j'ai espoir de trouver une solution pour le contrôler et ne plus avoir de vision. Et alors que je sors une clope de mon paquet et que je m'apprête à l'allumer à l'aide de mon briquet, j'entends la porte qui mène au toit s'ouvrir. Merde. C'est définitivement pas mon jour... Si c'est un surveillant ou un prof, j'suis cuite. En fait, je m'en fiche un peu parce que je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas le droit d'être là (après tout, je suis majeure et je n'ai pas trop eu le choix que de débarquer ici alors j'ai bien le droit de me promener où j'ai envie) mais j'ai besoin de cet endroit. Ouais, sentiment totalement contradictoire avec mon soucis d'autorité depuis ma plus tendre enfance mais je ne peux pas prendre le risque de me faire virer maintenant alors que j'ai débarqué il n'y a pas si longtemps de cela. Par réflexe, je cache ma cigarette et mon briquet en vitesse, avant de me décider à parler alors que j'apercois juste une chevelure blonde de là où je suis : « Je m'aprêtais à... ». Incapable de prononcer un mot de plus quand je réalise la personne qui se trouve à quelques mètres de moi. C'est Lux. Chaque personne me connaissant un minimum sait que dans chaque situation, j'ai toujours quelque chose à dire, souvent une remarque sarcastique dont j'ai le secret. Mais là, je suis incapable de balancer la première chose qui me vient à l'esprit. Elle n'est pas n'importe qui, elle a énormément compté pour moi et je l'ai laissé du jour au lendemain sans lui donner de nouvelle, ni même d'explication. Elle ne méritait pas cela, et pourtant... Il m'a fallu quelques mois avant de me rendre compte que j'ai agi avec lâcheté après le décés de ma sœur, que ce n'était pas la meilleure des solutions de fuir mais je n'ai jamais trouvé le courage de revenir auprès de mes proches, de ma famille. Ni auprès de Lux. Mais je ne peux pas laisser un silence entre nous deux, je dois parler. Parce que de toute façon, je ne peux pas fuir une nouvelle fois et je n'en ai pas envie. « Je ne pensais pas te revoir un jour... » dis-je en baissant instinctivement le ton de ma voix comme si d'autres personnes pouvaient nous entendre alors que nous sommes bel et bien seules sur le toit de l'école. Mes paroles sonnent clichées, mais c'est la vérité. Je ne pensais pas la recroiser un jour même si au fond de moi, j'espérais. J'espérais pour au moins m'excuser de mon comportement mais je n'ai jamais eu l'occasion... jusqu'à maintenant. Mais est-ce que je trouverai seulement le courage de le faire ou de lui adresser plus de quelques mots ? Est-ce qu'elle compte seulement rester ici ?

Let me show you my true colors

J'appréhende la réaction de Lux et je n'ai aucune idée d'à quoi m'attendre venant sa ma part. Certes, je la connais. Enfin, je l'ai connu. Mais depuis le temps que nous nous sommes pas vues, il est certain que nous avons changé toutes les deux et sûrement qu'elle m'en veut de l'avoir laissé de cette manière... Le pire à mes yeux, ce serait qu'elle réagisse avec indifférence. Je préfère qu'elle me hurle dessus pendant des heures s'il le faut plutôt que d'avoir son ignorance. Je ne le supporterai pas si cela devait arriver, je me connais. Alors je la regarde, ne pouvant pas m'imaginer la lâcher des yeux une seule seconde maintenant qu'elle est de nouveau là, devant moi. J'ai envie de la serrer dans mes bras mais je ne peux faire aucun geste, comme si mes pieds étaient collés au sol, attendant juste une quelconque réaction qui ne tarde pas à venir. Elle me balance qu'elle me croyait morte et cette révélation me fait l'effet d'une douche froide. En même temps, vue la manière dont j'ai disparu subitement, cela n'a rien d'étonnant mais... merde, et si ma famille pensait la même chose ? J'ai envie de lui dire que ce n'était pas mon intention, mais aucun mot n'est capable de sortir d'entre mes lèvres. Tout ce que je veux entendre de sa part, c'est qu'elle ne m'en veut pas mais peut-être que c'est trop demandé et même trop tôt. Alors je me contente de la regarder s'approcher de moi en vitesse et avant même que j'ai eu le temps de réfléchir, elle me gifle. Mes yeux se ferment sur le coup et je détourne mon regard du sien quand elle me dit que je ne l'ai pas volé celle-là. Elle n'a pas tort, je l'ai mérité. C'est pour cette raison que je me tais, que je ne cherche pas à me défendre et elle me connaît ; elle sait que si cela avait été quelqu'un d'autre, je lui aurais retourné son geste sans aucune hésitation en la regardant droit dans les yeux. Mais là, je détourne le regard, honteuse. Bordel, je me sens tellement idiote à cet instant précis, tellement faible face à elle. Est-ce que c'est ça de ressentir de la culpabilité ? Franchement, je m'en serai bien passée... Et Lux me prend dans ses bras, geste dont je ne m'attendais clairement pas et je lui rends son étreinte comme si c'était la première fois que je l'avais là, contre moi. « Je suis désolée. » dis-je sans la lâcher. Tout ce que je ressentais pour elle dans le passé me revient brutalement en pleine gueule, comme si je ne l'avais jamais quitté. En même temps, ce serait mentir que de dire que je n'ai jamais pensé à elle, que je l'ai totalement oublié. De nombreuses fois, je me suis demandée où elle était, ce qu'elle faisait, si elle allait bien... sans jamais trouver le courage de la retrouver d'une manière ou d'une autre parce qu'à mes yeux, elle mérite mieux qu'une personne capable de se barrer comme je l'ai fait. « J'aurais pas dû te laisser comme ça, j'le sais. J'ai agi sans réfléchir... » J'enchaîne avant de réussir à me détacher d'elle, à contre-cœur, lui faisant face. Mes yeux ne quittent pas les siens et chaque mot exprime ma sincérité. Pour une fois, je décide de ne pas me cacher derrière des mensonges. Mais je suis incapable de lui dire pourquoi j'ai agi de cette manière, le décès de ma petite sœur pour le moment car je veux juste savourer nos retrouvailles. « Mais c'était pas une raison pour tenter d'abîmer mon si beau visage même si je l'ai mérité, je l'avoue. » J'ajoute ces quelques mots d'un ton teinté d'ironie, avec un sourire aux coins des lèvres. Premier vrai sourire depuis mon arrivée dans cette école.